Entre ses mains raidies, Thomas Nodin, 15 ans, tient une balle en caoutchouc. Atteint d’une forme d’épilepsie rare, il participe à l’expérimentation engagée sur le cannabis médical et bénéficie désormais d’un traitement qui « change la vie » de certains malades et de leurs proches.
Deux fois par jour, Isabelle Nodin, 51 ans, rejoue la même routine dans la cuisine de la maison familiale d’Igny (Essonne).
Vers 19h00, cette sage-femme plonge une seringue dans un petit flacon d’huile de cannabidiol (CBD, la molécule relaxante sans effet stupéfiant), pour ajuster le dosage du médicament. Elle déverse ensuite le liquide visqueux dans une grande cuillère et l’administre par voie orale à ses deux enfants.
Thomas et sa sœur Camille, 13 ans, sont atteints du syndrome Wwox, une anomalie génétique rare qui associe « épilepsie réfractaire, retard global profond et troubles cognitifs sévères ».
Polyhandicapés, ils ne pèsent qu’une trentaine de kilos. Leur maladie provoque régulièrement des crises d’épilepsie, parfois jusqu’à une vingtaine par jour pour la cadette, relate sa mère. Elle décrit un quotidien laborieux, où chaque repas, chaque toilette, relève de l’épreuve.
« Voir son enfant faire une crise d’épilepsie, c’est quelque chose de terrible. Avec le temps, on ne s’habitue pas, mais on fait avec. Ce traitement a changé notre vie: s’ils vont mieux, alors nous aussi », confie la mère, sa fille sur les genoux.
Elle dit constater une nette diminution des crises depuis que ses enfants prennent du CBD.
– « Dose réponse » –
Les deux adolescents font partie des premiers bénéficiaires de l’expérimentation du cannabis à usage médical lancée pour deux ans en mars 2021 en France, sous le contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). A terme, il doit inclure jusqu’à 3.000 patients.
Sur les 1.500 déjà enrôlés, 70 sont mineurs et souffrent pour la plupart d’épilepsies réfractaires, détaille Nathalie Richard, qui dirige les travaux de l’ANSM.
Le Dr Stéphane Auvin, neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré (AP-HP), accompagne Camille et Thomas depuis leur plus jeune âge.
Quinze de ses patients, âgés de 5 à 17 ans et souffrant de pathologies rebelles aux traitements existants, se soignent également grâce au CBD.
Pour chacun, il faut « trouver la dose réponse » et déterminer à partir de quelle posologie le médicament s’avère efficace, détaille le Dr Auvin. « Thomas a eu une bonne réponse tout de suite, puis nous avons dû augmenter la dose. Pour Camille, on n’a eu aucun effet jusqu’à la dose maximale qu’elle tolère très bien », illustre-t-il.
Le CBD entraîne beaucoup moins d’effets secondaires que les autres traitements antiépileptiques, ajoute Isabelle Nodin: moins de fatigue, d’états somnolents et de crises, ce qui lui permet de développer une « communication non-verbale » avec ses enfants.
« Ils ne parlent pas, ne savent pas lire, donc il faut attirer leur attention avec des choses sensorielles », abonde-t-elle au milieu des livres musicaux et des fibres optiques colorées jonchant le sol de la chambre de sa fille.
– Retours « positifs » –
La France compterait près de 700.000 personnes épileptiques, dont environ 30% présenteraient une résistance aux traitements existants, estime Stéphane Auvin.
L’échéance de l’expérimentation l’an prochain pose le défi de la généralisation des traitements antiépileptiques à base de CBD.
Concernant l’épilepsie réfractaire, « nous avons des retours positifs sur l’efficacité des traitements (…) mais il y a toujours des effets indésirables, c’est relatif à tout médicament », reconnaît Nathalie Richard à l’issue d’une réunion du Comité scientifique temporaire (CST), chargé du suivi de l’expérimentation.
« Il ne faut pas voir dans le CBD un médicament magique », prévient Stéphane Auvin, qui doute que le traitement puisse soulager toutes les formes d’épilepsie: l’une de ses patientes a déjà quitté le dispositif, fait-il remarquer.
« Le CBD comme molécule dans le traitement des épilepsies a clairement sa place » mais « une expérimentation menée par l’ANSM donne-t-elle la même légitimité qu’un essai clinique pour mesurer les effets secondaires et l’efficacité ? », s’interroge le neuropédiatre.
Le dispositif doit faire l’objet d’une évaluation précise, souligne l’ANSM, notamment sur les répercussions du cannabis médical sur les autres traitements.
Une certitude, les patients pris en charge dans le cadre de l’expérimentation continueront d’être traités « avec du cannabis médical » une fois qu’elle aura pris fin.
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